La mémoire de l'eau
Corruption, abus de biens sociaux, subornation de témoins (affaire CARIGNON 1995-1999)
Conseil d'État (section du rapport et des études) avis du 03 décembre 1997
Conseil d'État
Avis de la section du rapport et des études
03 décembre 1997
Réf. SRE D.283
Paris, le 3 décembre 1997
Monsieur le ministre de l'intérieur
Cabinet
Place Beauvau
75 800 PARIS
Monsieur le ministre,
Par lettre en date du 7 novembre 1997 vous avez saisi la section du rapport et des études du conseil d'État d'une demande tendant à éclairer l'administration sur les mesures à prendre en vue de l'exécution de la décision rendue le 1er octobre 1997 (n° 133849) par le conseil d'État sur la requête de Monsieur Raymond 001....
Cette décision a annulé la délibération en date du 30 octobre 1989 par laquelle le conseil municipal de la ville de Grenoble a autorisé son maire à signer deux contrats correspondant à la délégation pour vingt-cinq ans de la distribution d'eau et du service d'assainissement à la COMPAGNIE DE GESTION DES EAUX DU SUD EST (COGESE) filiale de la société LYONNAISE DES EAUX et du groupe MERLIN.
Votre demande porte, d'une part sur le point de savoir quelles sont les obligations qui s'imposent à la ville de Grenoble en raison de l'annulation d'un acte détachable du contrat, et d'autre part, sur les conséquences d'une éventuelle annulation des contrats en cause.
Au plan des principes, si l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir, à la demande d'un tiers, d'un acte détachable du contrat n'a, par elle-même, aucun effet direct sur ce contrat qui demeure la loi des parties et dont l'exécution dans l'intérêt du service public peut en principe, être poursuivie sous réserve des droits à indemnité des tiers requérants, il appartient cependant à l'administration d'apprécier si, eu égard, aux motifs de la décision d'annulation de l'acte détachable, l'exécution du contrat peut être poursuivie jusqu'à son terme, ou si le contrat doit être résilié. Dans L'hypothèse ou les motifs de l'annulation de l'acte détachable n'impliquent pas nécessairement que le juge du contrat soit saisi ou qu'il soit procédé à la résiliation du contrat, il appartient alors à l'administration de prendre un nouvel acte se substituant à la décision annulée. Cette nouvelle autorisation qui doit prendre en compte les circonstances de fait et de droit à la date de son édiction, peut imposer, pour l'avenir, la renégociation des termes du contrat dont la signature est autorisée afin de tenir compte des changements intervenus depuis la date de la décision annulée. Elle est soumise au juge de l'excès de pouvoir.
S'agissant de l'annulation de la délibération en date du 30 octobre 1989 du conseil municipal de Grenoble autorisant le maire à signer deux contrats avec la société COGESE, la section du rapport et des études est d'avis de répondre dans le sens des observations suivantes :
- Il ressort des termes mêmes de la décision rendue le 1er octobre 1997 par le conseil d'État qui a par ailleurs déclaré irrecevables les conclusions dirigées contre les contrats, que le motif de l'annulation intervenue est tiré du défaut d'information des membres du conseil municipal appelés à délibérer sur les actes litigieux. L'irrégularité ainsi relevée, tenant, non au contrat lui-même, mais à un vice propre à la délibération attaquée, la décision du conseil d'État doit, eu égard à ce motif, s'interpréter comme n'impliquant pas nécessairement que la ville de Grenoble saisisse le juge du contrat en vue d'en demander rétroactivement la nullité où procède elle-même à cette résiliation
- L'annulation de la délibération susvisée du conseil municipal de Grenoble impliquait en revanche, conformément aux règles décrites ci-dessus, que cette assemblée soit à nouveau appelée à délibérer sur de nouvelles décisions relatives à la délégation de la gestion de la distribution publique d'eau potable et d'assainissement. Compte tenu des modifications intervenues depuis 1989 dans les textes législatifs et réglementaires régissant la matière des contrats ainsi que des circonstances de fait révélées dans le cadre de la procédure pénale ayant donné lieu à l'arrêt en date du 9 juillet 1996 de la cour d'appel de Lyon, la nouvelle autorisation à intervenir devait, en l'espèce, être nécessairement précédée d'une renégociation, pour l'avenir, des contrats en cause
- Rien ne faisait obstacle à ce que le maire de Grenoble procède, sans attendre l'issue de la procédure contentieuse engagée par Monsieur Raymond 001... devant le conseil d'État, à la renégociation des contrats litigieux, et ait demandé à son conseil municipal de l'autoriser, par les délibérations du 6 juillet 1995, 25 mars 1996 et 13 mai 1996, à signer les avenants destinés à mettre le contrat initial en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Dans ces conditions, et sous réserve de l'appréciation des juridictions compétentes sur la légalité des délibérations précitées, la ville de Grenoble peut être considérée comme ayant tiré par avance les conséquences nécessaires de la décision d'annulation rendue le 1er octobre 1997 par le conseil d'État
J'ajoute, afin de répondre à l'ensemble de votre demande, que toute action dirigée contre le contrat, soit par l'une des parties, soit par un contribuable de la commune dûment habilité par le tribunal administratif, aboutirait à une nouvelle décision de la juridiction administrative sur un litige ayant un caractère distinct, et à propos duquel, le conseil d'État, saisi en application de l'article 58 du décret du 30 juillet 1963, n'est pas compétent pour se prononcer avant toute décision du tribunal administratif.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le ministre, l'expression de ma haute considération.